CHAPITRE II

 

 

La construction du château était presque achevée. Il s’élevait, majestueux, entre les roseaux et les joncs, seule végétation à des kilomètres à la ronde. A peine plus petit que celui du roi, il en était la réplique presque parfaite, car ainsi l’avait exigé le marchand de nuages lorsqu’il avait annoncé le prix de ses services. Bien sûr le souverain avait dû lever un impôt supplémentaire sur les paysans de la contrée des semailles. Le trésor royal aurait certes pu subvenir seul aux besoins de la construction mais il était d’usage de créer un impôt chaque fois que l’on bâtissait un château. Ensuite, lorsque celui-ci était terminé, on oubliait généralement de le supprimer et, l’habitude étant prise, qui songeait à s’en plaindre ?

Cette fois, le roi Turgoth avait fait encore mieux : usant de l’argument massue : « C’est de notre survie à tous dont il est question », il avait même réussi à faire participer les barons. Naturellement ils avaient moins payé que les paysans mais ils avaient payé, et cela seul comptait : la fois suivante ils paieraient un peu plus, et celle d’après encore plus.

En tout cas ils n’avaient nullement lieu de se plaindre car depuis le début des travaux, soit environ onze ans, Fuinör n’avait plus connu la sécheresse. Le marchand de nuages avait tenu sa parole, même si depuis cette même date on ne l’avait plus revu. Les menteurs et les imaginatifs disaient qu’il se trouvait au pays des fées. Les autres n’en savaient rien mais supposaient qu’un être aussi puissant avait les moyens de se trouver là où il désirait, sans que personne ne s’en aperçoive. Peut-être était-il même ici, dans la contrée du miroir, surveillant la construction de son château en ayant emprunté la forme de l’un des architectes, ou d’un chevalier. A moins qu’il ne fût invisible... Cette crainte, mêlée de respect, était si ancrée dans les esprits, y compris ceux des plus hautes sphères de la noblesse, que nul ne se laissait aller au moindre commentaire désobligeant au sujet du marchand de nuages. Qu’il décidât de l’abandonner et Fuinör eût été à la merci de toutes les catastrophes naturelles.

Aladin, comme il se faisait parfois appeler, était aussi nécessaire au pays que le soleil lui-même.

Le château ne se trouvait qu’à une demi-lieue du miroir, ce grand lac parfaitement circulaire dont les eaux reflétaient l’image du monde et au fond duquel le soleil venait s’engloutir, tous les dix ans, pour en ressortir transformé.

— Du haut de ses fenêtres, le marchand de nuages pourra assister à l’avènement du soleil violet, dit Turgoth III souverain de Fuinör.

C’était un homme déjà âgé ; depuis peu il avait dépassé la soixantaine et, sans qu’il s’en trouvât physiquement changé, cette frontière traversée lui avait porté un grand choc moral. Il se tenait encore droit sur sa selle, drapé dans ses habits de pourpre, mais de trop longues chevauchées lui causaient désormais de violentes douleurs dans les membres et dans les reins. Malgré un régime sévère, son ventre s’enflait d’année en année et débordait de ses chausses. Quelque temps auparavant il avait rasé sa barbe et sa moustache et n’était pas décidé à les laisser repousser. Ses cheveux blanchis ne subsistaient qu’en une mince couronne, ce qui faisait dire aux jouvenceaux irrespectueux qu’il voulait porter les attributs de la royauté même lorsqu’il était nu.

Le chevalier se trouvant aux côtés de Turgoth n’était pas de très loin son cadet mais, pour lui, les années avaient été plus clémentes. Il n’avait jamais cessé de se consacrer au métier des armes et s’y était forgé un corps d’acier, où l’on eût cherché en vain la moindre trace d’empâtement, la moindre articulation rouillée. Malgré ses cheveux eux aussi grisonnants. Ghénarys conservait cette beauté qui avait fait de lui le rêve de toutes les gentes damoiselles de la cour  – leur rêve puis leur désespoir, car il n’avait jamais daigné leur accorder plus d’un sourire et ne s’était jamais marié. Depuis trente ans il semblait se contenter d’être le meilleur chevalier du royaume, titre qu’on avait pourtant souvent tenté de lui ravir. Mais il avait tout d’abord vaincu des combattants plus expérimentés que lui et en désarçonnait maintenant d’autres plus jeunes, plus souples, plus forts même. A cheval et la lance à la main, Ghénarys était plus qu’un homme, du moins était-ce là une opinion couramment répandue à la cour.

— Plus de dix ans..., murmura-t-il, observant la fourmilière des bâtisseurs, occupée pour le moment à hisser une grande pierre taillée jusqu’à la place qu’elle allait occuper, en haut d’une tour.

Turgoth émit un grognement énervé. Il n’avait pas besoin d’explications pour savoir que le chevalier ne parlait pas de la construction du château. Aucune autre personne n’eût osé faire la moindre allusion à ce sujet devant le roi et l’eût-elle fait, par ignorance ou inattention, qu’elle eût sans doute aussitôt été bannie de la contrée. Mais Ghénarys était le meilleur ami de Turgoth, son défenseur et son confident depuis toujours. Les interdits diplomatiques tacites ne le concernaient pas.

— Peut-être serait-il temps de pardonner, reprit-il. D’aller la rechercher...

— Jamais ! dit le roi.

— Vous ne la regrettez donc pas, Sire ?

Turgoth soupira bruyamment. Il avait trop chaud sous sa cotte de mailles et sa cape écarlate. Sa respiration se faisait sifflante.

— Bien sûr que si, je la regrette, dit-il. Et tu le sais bien. Mais je ne puis point revenir sur la décision du conseil. Ma fille était folle...

— Folle, Sire ?

— Et même si elle ne l’était pas ! s’emporta le roi. Il n’est de toute façon rien qui puisse excuser sa conduite. Lui pardonner jetterait le scandale et le désordre dans tout le pays. Je n’en entendrai pas plus sur le sujet, Ghénarys. Ma patience est à bout !

— Comme il vous plaira, Sire, dit le chevalier.

Turgoth fit tourner bride à son cheval et l’éperonna en un trot léger, retrouvant la direction de son propre château. Lui emboîtant le pas, Ghénarys revint bientôt à sa hauteur. La visière relevée de son heaume révélait un visage soucieux.

— Mais la dynastie, Sire ? dit-il, comme si la conversation n’avait pas été interrompue. Vous n’avez pas d’autre enfant.

— Le meilleur des chevaliers me succédera : toi !

Ghénarys secoua la tête.

— Non, Sire. Je ne suis pas digne d’un tel honneur. Et même si tel était le cas, de combien d’années croyez-vous que je vous survivrai ? Vous survivrai-je seulement ? Et je n’ai pas non plus de descendance. Qui viendrait après moi ? L’un de ces barons envieux qui briguent le pouvoir royal par dépit de n’en point posséder le sang ? Fuinör serait en de belles mains !

— Mais par les Dieux, qu’y puis-je ? s’exclama le roi, devenu écarlate. Si le destin de ma lignée est de s’éteindre, qu’elle s’éteigne !

— Vous pouvez reprendre femme, Sire, et donner un nouvel héritier au royaume...

La colère de Turgoth disparut aussi vite qu’elle s’était manifestée. Il éclata d’un rire joyeux.

— Reprendre femme ? Tu te moques, Ghénarys ! Me vois-tu à mon âge dans la contrée de l’amour, contant fleurette à quelque jeunesse ?

— Un roi n’a pas d’âge et, fût-il impotent, celle sur laquelle il lèverait les yeux ne saurait rester insensible à l’honneur qui lui serait fait.

Le roi ne répondit pas. Tout comme sa colère, son hilarité était tombée et seul subsistait le trouble dans lequel l’avaient plongé les paroles de son ami. Ils chevauchèrent en silence pendant plusieurs minutes.

Au-dessus du miroir voletaient de grands oiseaux au plumage vert tendre qui, parfois saisis de vanité, plongeaient tels des soleils dans les eaux du grand lac, pour saisir un poisson. Lorsqu’ils en ressortaient, tristes victimes d’un rêve irrationnel, ils étaient, inchangés. Mais certains ne ressortaient jamais. Préjugeaient-ils de leurs forces et s’aventuraient-ils en des eaux trop profondes dont ils ne pouvaient plus s’échapper ou bien, comme le disait la légende, le miroir conduisait-il sans étape jusqu’au pays des fées ?

— Je réfléchirai, Ghénarys, dit enfin le roi. Je réfléchirai...

 

La baronne Auriana avait quarante-cinq ans, mais en paraissait trente. Seuls ceux qui se souvenaient de l’avoir connue rousse, alors que jouvencelle elle cherchait un époux, pouvaient en observant sa chevelure d’émeraude deviner aisément combien de décennies elle avait vues fleurir. Mais même ceux-là ne pouvaient se défendre de la trouver fort belle. Grande, élancée, une taille si fine que les mains d’un enfant eussent presque pu l’enserrer, une poitrine altière et les courbes délicates d’un visage sans rides, faisaient d’elle l’une des plus grandes beautés que l’on vît à la cour. Chevaliers et barons la couvraient d’attentions. Les autres femmes la détestaient, mais elle ne s’en formalisait guère. Le bruit courait dans les couloirs du château qu’Auriana accompagnait dans la contrée de l’amour quiconque savait le lui demander habilement  – en lui offrant par exemple une parure de diamants. Mais aucune preuve n’en avait jamais été faite et on se gardait bien de la calomnier en public, de peur de s’attirer les foudres vengeresses du baron Farnn. Car malgré tous les amants, toutes les frasques qu’on voulait bien lui prêter, Auriana était mariée.

Quoi qu’elle n’en parlât jamais à personne, elle aimait à songer que la vie ne lui avait apporté que trois choses : un mari, un fils et un rêve, dans l’ordre croissant d’importance. Le rêve était le plus ancien ; fille du baron Mortys, jadis convaincu de félonie contre le roi, elle avait pu croire un instant que, son père souverain, elle serait héritière et obtiendrait le trône. Depuis l’échec cuisant de Mortys, le désir qu’elle avait d’être reine ne l’avait plus quittée. A seize ans, pour regagner son rang et rentrer en grâce à la cour, elle avait épousé Farnn, jeune chevalier vigoureux qui s’était distingué au cours d’un grand tournois, ne vidant les étriers que devant Ghénarys. Quelques années plus tard, elle avait eu un fils : Jorlond.

Alors avait commencé un lent travail d’infiltration, fait d’intrigues et de charme, qui avait abouti comme elle l’avait souhaité à son installation plus ou moins permanente à la cour.

Devant tant de sincère dévouement et d’empressement apparent, le roi avait fini par lui confier l’entière responsabilité des réjouissances organisées au château. Depuis lors, celui-ci avait retrouvé un faste et une allégresse qu’il n’avait plus connus depuis la disgrâce de la jeune princesse Rowena.

Au cours des années, l’indifférence qu’Auriana éprouvait pour son mari s’était lentement transformée en dédain, puis en mépris. L’amour qu’elle croyait porter à son fils avait levé son masque de pureté et révélé son visage : l’ambition personnelle qu’elle voulait assouvir à travers lui. Mais le rêve était demeuré intact. Auriana voulait régner et pour cela, elle se sentait disposée à accepter tous les sacrifices.

Ou à commettre tous les crimes.

La salle du trône était la pièce la plus froide du château. Quelle que fût la saison, même aux jours les plus chauds, lorsque les rayons du soleil y pénétraient largement par les fenêtres ouvertes, leur lumière indigo ne pouvait tout à fait vaincre la fraîcheur des dalles de marbre et des vieilles pierres. Des tentures de soie et de velours, aux couleurs passées, en constituaient le seul ornement, si l’on exceptait çà et là les portraits figés des souverains disparus. Monument poussiéreux, le trône de Turgoth ressemblait à un arbre desséché, aux confins du désert. Lorsque le roi venait y prendre place et saisissait le sceptre, symbole de son rang, il ne pouvait retenir chaque fois le même frisson glacial. Certains jours il se demandait si le froid ne se trouvait pas inscrit dans sa chair, plus que dans les murs de la salle du trône...

Pourtant, il lui arrivait souvent de venir s’enfermer volontairement dans cet inconfortable refuge, quand il voulait être seul, quand il devait réfléchir, prendre une décision.

Ce jour-là, après avoir quitté Ghénarys dans la cour du château, il s’y était rendu directement, presque sans y penser, tant son esprit était encombré de raisonnements multiples, parfois contradictoires. Ce ne fut qu’assis sur le velours grenat du trône, qu’il put commencer à rassembler ses idées.

— Maudits soient Ghénarys et ses conseils ! grommela-t-il entre ses dents. Qu’irais-je donc braver le ridicule en épousant une jouvencelle ? Aurais-je seulement envie de l’honorer dignement ?

La question qui devait logiquement faire suite à celle-ci resta silencieuse mais sembla pourtant emplir toute la salle. Le pourrais-je ? Nul homme, fût-il le roi, ne perd suffisamment le respect de lui-même pour admettre qu’il n’est plus homme.

Et Turgoth avait peur.

Malgré son désir de solitude, il fut presque soulagé lorsqu’on frappa à la porte.

— Entrez, dit-il d’une voix qu’il aurait souhaitée plus ferme.

Un léger courant d’air fit claquer une fenêtre lorsque la porte s’ouvrit, livrant passage à la mince silhouette d’Auriana, porteuse d’un plateau d’argent, sur lequel reposaient un flacon de vin et deux coupes.

— Vous, baronne ? s’étonna Turgoth. Qu’y a-t-il donc ?

Auriana alla déposer son plateau sur une table de chêne, située non loin du trône, puis revint s’incliner devant le roi. Sa révérence fut agrémentée d’un sourire radieux lorsqu’elle releva la tête.

— Je vous ai vu lorsque vous laissiez votre cheval à l’écurie, Sire, dit-elle. Vous aviez l’air soucieux ; j’ai songé qu’une coupe de vin vous serait peut-être un réconfort...

— Et n’y a-t-il donc plus de serviteurs dans ce château, qu’une baronne soit tenue d’accomplir elle-même une telle tâche ?

Le sourire d’Auriana s’élargit encore.

— J’ai voulu vous l’apporter moi-même, Sire. Lorsque le trouble est en vous, je sais que vous n’acceptez la présence que de ceux qui vous aiment et vous sont dévoués.

Ayant dit, elle se leva et alla remplir une coupe qu’elle apporta au roi. Leurs doigts se frôlèrent tandis qu’il la prenait et il sembla à Turgoth que le hasard n’en était pas la seule cause.

— Je vous remercie, baronne, dit-il, se détendant un peu. Servez-vous donc également ! Puisque vous avez pris la précaution d’apporter deux coupes, je suppose que vous aviez prévu que je vous inviterais à boire en ma compagnie...

Une lueur étrange passa dans le regard d’Auriana tandis qu’elle battait innocemment des cils.

— Prévu est un bien grand mot, Sire. Disons que je l’avais espéré...

Elle alla remplir la seconde coupe, pour elle-même, et Turgoth en profita pour l’observer. Elle portait une robe de soie noire, relevée de rubans mauves, qui l’amincissait encore. Une traîne longue de plusieurs mètres laissait derrière elle un sillage vaporeux et mouvant. Auriana était une des seules dames de la cour à porter encore ce genre de robe. Si elle était consciente d’amasser peu à peu toute la poussière des couloirs, elle ne s’en inquiétait pas outre mesure, changeant de toilette trois à quatre fois par jour. Lorsqu’elle leva sa coupe pour lui rendre hommage, le roi remarqua que le haut de sa robe était largement délacé, par une savante inattention, laissant deviner la naissance des seins, au bout d’un profond décolleté.

— Longue vie au roi ! dit Auriana, avant de tremper ses lèvres dans le vin.

— Vous êtes très belle, baronne, répondit Turgoth, sans en avoir eu l’intention.

Mais loin d’être froissée, Auriana s’inclina à nouveau.

— Sire, je suis votre humble servante, dit-elle doucement.

Le vieux conseiller Hormund se fit annoncer dans la salle du trône peu de temps après que la baronne en fut sortie. Elle avait passé environ une demi-heure en compagnie du roi, remplissant sa coupe dès qu’il buvait une gorgée, souriant sans cesse et déployant des torrents de charme, d’éloquence. Chacune de ses phrases semblait contenir un sous-entendu dont Turgoth n’osait trop saisir le sens. Il avait côtoyé Auriana pendant des années sans seulement daigner accorder un regard à sa beauté et soudain le désir s’infiltrait en lui  – aussi fort qu’aux jours de sa jeunesse. Peut-être était-ce à cause des paroles de Ghénarys...

Lorsqu’arriva Hormund, le roi voyait encore l’image tentatrice d’Auriana et échafaudait une scène onirique prenant place dans la contrée de l’amour, une scène qui pourrait bien n’être qu’une anticipation de la réalité.

— Puis-je vous entretenir un instant, Sire ? demanda le conseiller, s’inclinant respectueusement.

Vieillard aux cheveux blancs et au visage crevassé de rides, Hormund semblait avoir atteint un âge où plus rien ne pouvait l’abattre. Parfois Turgoth s’étonnait de sa longévité exceptionnelle : c’était lui qui avait assuré la régence entre la mort du roi précédent jusqu’à sa majorité et à l’époque, il était déjà fort âgé. Mais la plupart du temps nul n’y prenait garde. Hormund existait, tout simplement, comme le château ou le miroir. On ne pouvait imaginer la cour sans sa présence chenue, furtive, dans les couloirs.

— Qu’y a-t-il ?

— Je viens de croiser le chevalier Ghénarys, Sire.

Il m’a laissé entendre que vous songiez à reprendre femme...

Le roi fronça les sourcils. Ghénarys allait bien vite en besogne.

— C’est lui qui m’en a donné l’idée, dit-il. Je reconnais qu’un héritier serait une bonne chose pour le royaume mais j’hésite encore...

— N’hésitez plus ! dit Hormund. Il y a plusieurs années que je souhaite ardemment une telle décision, sans oser vous en parler. Avez-vous déjà songé à quelqu’un ou bien désirez-vous que je fasse publier un ordre à toutes les gentes damoiselles du royaume de venir se présenter au château ?

— Tout doux, Hormund ! se récria Turgoth. Je ne veux pas de cela. Je ne suis pas sûr qu’il me conviendrait d’épouser une jouvencelle. Elle ne rêvera que de prouesses guerrières, de romance et n’aura guère d’attirance pour moi. Par contrecoup je ne pourrai pas l’aimer...

— Je ne sais s’il est vraiment question d’amour en la matière, Sire. Ce dont le royaume a besoin, c’est d’une mère !

Turgoth ferma les yeux un instant ; l’image d’Auriana le rejoignit encore, perçant l’écran obscur de ses paupières. Auriana, son sourire, la courbe de ses épaules et sa robe à demi délacée... Hormund avait raison : il n’était guère question d’amour...

— Je suis troublé, Hormund. Je crois que je préférerais prendre pour épouse une femme plus mûre. Je ressentirais moins ma vieillesse.

— Bien entendu, Sire. La baronne Auriana sort d’ici, n’est-ce pas ? Elle est fort belle...

Turgoth se sentit blêmir, furieux d’avoir été aussi bien percé à jour.

— Ne dis pas de bêtise ! fit-il sèchement. La baronne est mariée à l’un de mes plus loyaux sujets.

Les lèvres desséchées du vieillard s’élargirent en un sourire servile.

— Un mari n’est qu’un homme, Sire. Maintenant permettez-moi de me retirer ; nous aurons sans doute l’occasion de nous entretenir à nouveau de ce sujet...

Le roi lui donna son congé d’un geste de la main et resta seul, avec ses pensées. Un mari n’est qu’un homme, certes, mais un roi n’est pas un assassin. Peut-être Auriana accepterait-elle de lui donner ce qu’elle semblait offrir sans qu’il fût besoin de supprimer Farnn. Il suffirait de l’éloigner.

Bien sûr, songeait Turgoth. C’était la bonne solution. Il n’aurait toujours pas d’héritier mais du moins contenterait-il son désir.

Son cœur battait plus vite qu’à l’accoutumée ; il lui semblait qu’il battrait ainsi tant qu’Auriana ne serait pas sienne.